Vieillir signifie souvent perte de l’autonomie et de l’indépendance.
Quand arrive le moment où il devient dangereux de rester seul chez soi,
l’unique solution reste le placement en établissement d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (EHPAD). Ce départ entraîne bien souvent
un traumatisme.
Pourquoi ?
Photo : rvm |
Pour Jacques Gaucher,
président de la Société Rhône-Alpes de Gérontologie et professeur à
l’Université Lyon 2, il s’agit d’un « traumatisme complexe et multiple
». Quitter son domicile pour partir en maison de retraite, c’est quitter
son lieu de sécurité, sa tanière, « un lieu avec des bibelots, une
décoration et des meubles empreints de souvenirs ». Le choc est
d’autant plus important que les EHPAD sont des espaces institutionnels
qui répondent à des normes avec une décoration
moderne, des couleurs vives…
C’est aussi faire le deuil d’un
cadre de vie où l’on s’est habitué à vivre seul. La dépendance devient
entière au moment de l’arrivée en maison de retraite, puisque le patient
retombe en enfance. Il n’a alors plus aucune prise sur sa vie.
Pour
Catherine Minodier, psychologue clinicienne à Lyon, ce traumatisme peut
être évité « en anticipant ». La personne doit se préparer mentalement à
devoir quitter son domicile. Elle ajoute que « quand les enfants savent
que leur proche va devoir partir, ils doivent contacter un psychologue
pour faire un travail en amont ». Selon elle, cette démarche doit avoir
lieu deux à trois ans avant le départ, dès les premiers signes de perte
d’autonomie. Malgré tout, il n’y a pas de bonne solution. Ce qui est
important, c’est le dialogue qu’il faut instaurer, afin d’éviter le
sentiment de choc et de brutalité.
Selon Jacques Gaucher,
les familles ne sont que victimes d’un système. Il explique qu’il y a
vingt ans, les personnes âgées faisaient cinq ou six séjours répétés en
institut afin de se familiariser avec le personnel et l’établissement.
Aujourd’hui, les décisions doivent être
prises dans l’urgence. En quarante-huit heures, les proches doivent
décider si oui ou non, ils décident de placer leur parent et si oui,
dans quel établissement. L’aspect financier est alors à prendre en
compte. Face aux montants exorbitants des loyers (de 1 500€ à 3 000€ par
mois en moyenne), les familles pensent « Cela va durer combien de temps
? » Elles font face à un drame aux retombées psychologiques
importantes. Des familles sont obligées de choisir un établissement éloigné
du domicile, faute de pouvoir payer le loyer d’une maison de retraite
près d’eux. La personne âgée se retrouve alors encore plus isolée, ce
qui accentue le traumatisme. « Elle prend alors conscience qu’elle ne
cuisinera plus pour ses petits-enfants et qu'elle ne les gardera plus le
mercredi après-midi » ajoute Catherine Minodier.
Comment ?
Photo : wwwfr.uni.lu |
Le
traumatisme de quitter le domicile s’exprime sous différentes formes :
état démentiel, rétropulsion à début brutal (tendance à la chute en
arrière) ou encore syndrome de glissement. Ce syndrome est comparable au
suicide puisque la personne se laisse aller physiquement et
mentalement. Elle se recroqueville sur elle-même. Elle peut refuser de
s’alimenter, tomber en dépression. Jacques Gaucher confie que deux de
ses étudiants ont démontré que deux mois après l’entrée en maison de
retraite, le taux de mortalité était très élevé. Catherine Minodier
confirme cette observation : « Pendant les quinze premiers jours, tout
est beau. Il y a un pic descendant au bout de deux mois. »
Faire face.
L’Université
Lumière Lyon 2 propose un diplôme de psychologie spécialisé en gérontologie. Ils
abordent les questions relatives aux enjeux du départ du domicile. Les
examens sont basés sur des situations cliniques où sont introduites des
complicités, afin de bien identifier les enjeux. Le professeur Gaucher ajoute que la complexité est qu’il «
faut tricoter avec les institutions. » Ce n’est pas parce que les
étudiants ont appris à gérer que l’institution gère. Malgré leur
meilleure maîtrise des différents enjeux, les psychologues n’ont qu’un
rôle de conseil et ils doivent composer avec des médecins obligés de faire
vite. Ces derniers s’appuient sur une épidémiologie, de fait, la
décision est très précipitée et cela a des conséquences dramatiques.
La
situation est bouchée et le traumatisme bien difficile à éviter. Face à
un système de précipitation et une complexité financière non
négligeable, les familles se retrouvent incapables de bien préparer leur
proche à quitter leur domicile. Selon la psychologue Catherine
Minodier, l’une des solutions serait déjà de moins infantiliser la
personne âgée dans les institutions, afin qu’elle conserve de
l’autonomie et qu’elle ne se laisse pas partir.
Justine Fontaine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire